Le judaïsme officiel étant muet,
aussi bien celui des Pharisiens
que celui des Sadducéens,
aura-t-on plus de chance avec !es
mouvements religieux et les sectes
qui, a l'époque du ChrIst, se
rencontrent en Palestine? Des Zélotes¨
on
ne connaît aucun texte:
professionnels du poignard ils
se
souciaient moins de théologie que
de politique, s'opposaient aux
pouvoirs établis qu'ils tenaient
pour trop faibles, et n'hésitaient
pas à tuer sans phrase ceux
qu'ils jugeaient traîtres à la
cause de la liberté d'Israël.
Peut-être
furent-ils d;accord, en ce
cas, avec les princes des
prêtres pour condamner un
personnage assez fou pour
prêcher l'amour des
ennemis et la fraternité
universelle; mais ils
n'ont pas laissé, sur ce
point plus que sur
d'autres, le moindre
document.
Il en va autrement
des Esséniens. Ceux-
ci, jusqu'à une date très
récente, nous étaient
connus, non par des textes
juifs officiels mais par
des écrivains: Philon
d'Alexandrie, Pline
l'Ancien et Flavius Josèphe,
Selon ce triple témoignage,
les Esséniens étaient
des sortes de moines,
vivant dans les soljtudes
une existence de prière
et d'ascèse, «sans femme
et sans argent, dans la
seule société des
palmiers», travaillant
pour assurer leur
subsistance et organisés
selon une hiérarchie
stricte. Depuis déjà
longtemps on se posait
maintes questions à
propos de ces mystérieux
moines vêtus de blanc,
qui pratiquaient la mise
en commun intégrale des
biens, multipliaient les
ablutions et tes
observances, et dont on
savait que la communauté
principale était située
à Engaddi, non loin de la
mer Morte.
Or, on sait que, depuis
le mois de mars 1947, dans
la région même d'Engaddi,
au nord-ouest de la mer
Morte, des découvertes
sensationnelles ont été
faites*.
Dans une, puis dans
plusieurs grottes de .la
falaise par laquelle la
Judée se termine en
abrupt sur le «Ghor» de
la mer maudite, des
manuscrits ont été trouvés,
tous religieux un grand
nombre bibliques, les
autres formulant la
doctrine et la règle
d'une secte juive qui
s'appelait elle-même «Communauté
de la Nouvelle Alliance ».
Peu après, les pères
dominicains français de
l'École biblique de Jérusalem,
fouillant des ruines
jusqu'alors négligées,
proches des grottes aux
trouvailles, en un lieu
dit «Qirbet Qumran»,
révélèrent qu'il
s'agis- sait là du
couvent où avaient vécu
les adeptes de la Nouvelle
Alliance; salles de réunion,
« scriptorium »,
piscines, magasins, rien
ne manquait pour que la
description de ces ruines
fût celle d'un monastère.
Le rapprochement avec les
Esséniens s'imposa donc
aux esprits, et se fit de
plus en plus persuasif à
mesure que les textes des
rouleaux découverts
furent publiés.
Tout ce qu'on
savait antérieurement des
Esséniens, de leur mode
de vie, de leur doctrine,
se trouvait confirmé.
Leur origine., demeurée
mystérieuse, pouvait être
mise en relations avec ces
Hassidim qui s'étaient
écartés du reste de la
communauté a l'époque de
la domination hellénistique
pour ne pas obéir aux
grands prêtres asmonéens.
suspects à leurs yeux: de
trop de complaisance aux
Grecs
¨u
D'après les textes
découverts on pouvait même
conclure que, vers 65
avant notre ère sans
doute, la secte était
entrée en conflit violent
avec les chefs officiels
d'Israël et que son supérieur,
dit « le Maître de
Justice », avait été
mis à mort. Fuyant un
temps les solitudes de la
mer Morte, les disciples
de la Nouvelle Alliance s'étaient
réfugiés quelque temps
en Syrie - d'où provient
le curieux Écrit de
Damas trouvé en 1896
dans une synagogue du
Caire, et dont la
ressemblance avec les
Manuscrits de la mer Morte
ne fait aucun doute - pour
revenir se fixer au Qirbet
Qumran, une fois .la
domination romaine installée
en Palestine, probablement
vers 4 avant J.-C.
La communauté
resta alors dans son
monastère environ trois
quarts de siècle,
connaissant certainement
un rayonnement dans tout
le monde juif: on a
retrouvé près du Qumran
un vaste cimetière .où
de pieuses gens, même des
femmes, vinrent dormir
leur dernier sommeil à côté
des ascètes. Mais au
cours de la fameuse «
Guerre juive» où Titus réprima
rudement la révolte de la
Palestine, en 68 de notre
ère, la Xè Légion opéra
dans la région de la mer
Morte. Les moines esséniens
s'enfuirent, non sans
avoir pris soin de cacher
dans d'inaccessibles
grottes leurs plus précieux
trésors, leurs livres
sacrés, dans l'espoir de
les retrouver un jour...
Les Esséniens ou,
si l'on préfère les zélateurs
de la Nouvelle Alliance,
sont donc installés
près de la mer Morte au
moment ou Jésus paraît
et se dresse dans sa
mission. Leurs textes les
plus récents peuvent
se
situer entre --- .4 et +
68. Parlent-ils de Jésus
? Nullement. Pas un seul
document n'a été trouvé
dans les Manuscrits de la
mer Morte où il soit
question du fils de Marie.
Cela paraît, à première
vue, étonnant. Surtout si
l'on songe que le
rapprochement entre essénisme
et christianisme (dont
nous aurons à parler) à
été fait depuis
longtemps. Déjà, dans
une lettre à d'Alembert,
le 17 octobre 1770, Frédéric
II de Prusse écrivait :
«Jésus était
proprement un Essénien;
Il était Imbu de la
morale des Esséniens, qui
tient beaucoup de celle de
Zénon »,ce qui était
fort aventuré. Plus
prudent, Renan, sans
admettre de «commerce
direct» entre Jésus et
la secte essénienne
disait .que «le
christianisme. est un essénisme
qui a largement réussi ».
Ce rapprochement, en tout
cas, les moines de la
Nouvelle Alliance ne l'ont
pas fait.
Il ne semble pas
davantage qu'ils aient prêté
la moindre attention a
d'autres rapprochements,
sur lesquels les
historiens et exégètes
,du XXè siècle
discutent, et dont Il sera
question plus loin., Par
exemple, entre Jean le
Baptiste et les plus
ardents des membres de la
secte qui, refusant même
la vie commune, fuyaient
toute présence humaine
dans le désert. Ou dans
quelque anfractuosité de
la falaise. Non plus
qu'ils aient su ce qui se
passait au gué de Béthabara,
sur le Jourdain, où le
Baptiste procédait à des
cérémonies d'ablutions
analogues aux leurs dans
leurs apparences. Non plus
qu'ils aient observé que
la grotte du djebel
Qarantal où Jésus fit
retraite avant sa levée
publique n'est pas très
éloignée de leurs
grottes-cachettes. Et,
bien entendu, rien
n'indique, dans leurs
textes, qu'ils aient le
moins du monde identifié
Jésus le Nazaréen à un
de leurs «Maîtres de
Justice.», selon une
hypothèse que certaine critique
a avancée complaisamment.¨¨u
Le silence des
Manuscrits de la mer Morte
n'a cependant rien de
surprenant. Les Esséniens,
et les moines du Qumran,
appartenaient certainement
à la caste sacerdotale
juive: eux-mêmes le
disent dans leurs textes,
où ils se désignent
comme fils de Sadoc, du
nom d'un prêtre du temps
de Salomon, ou encore
descendants de Lévi
et d'Aaron. Même séparés
du sacerdoce officiel, ils
en gardaient bien des
habitudes de pensée, les
préjugés, un mépris
tacite des am-ha-arez ignorants
dont Jésus et ses
disciples étaient tout
proches. Pour ces austères
ascètes, enfermés dans
un légalisme plus strict
encore que celui des
Pharisiens, quelle
importance pouvait bien
avoir l'aventure d'un
ouvrier du bois, flanqué
de quelques pêcheurs du
lac galiléen, qui venait
se faire prendre à Jérusalem
et crucifier comme un
bandit vulgaire? Les pieux
du Qumran n'avaient jamais
perdu leur temps ni leur
encre à raconter des évènements
historiques, tout occupés
qu'ils étaient des seules
choses religieuses: ils
n'allaient pas commencer
à parler d'un si piètre
sujet!
«
La parole vivante et
perdurable »
Païens
et Juifs écartés, reste
à se tourner vers ceux
qui, dès le début, se
sont réclamés de Jésus:
les Chrétiens. C'est
naturellement par eux que
nous le connaissons le
plus totalement, et le
faisceau de leurs témoignages
est si solide que des siècles
de critique n'ont pu le
dissocier. Cependant, au
seuil d'un examen de ce
textes, une difficulté se
présente, qui ne paraît.
pas légère à l'homme
moderne. Habitué depuis sa naissance
à ne rien apprendre
que par l'imprimé et dans
l'imprimé, chacun de nous se représente toute tradition concernant le Christ sous la forme coutumière
de quelques petits livres.
Or, il est absolument
certain que l'enseignement
chrétien le plus ancien dédaignait
le texte écrit et était
rigoureusement oral.
Nul
n'ignore que le milieu
social où vivait Jésus
était celui de très
petites gens: ouvriers,
artisans, pêcheurs du lac
de Tibériade. Parmi ses
douze disciples, tous savaient-ils écrire?
Certainement Lévi dit
Matthieu, le collecteur
d'impôts, et Judas, le
caissier de la troupe;
mais les autres? Nous
l'ignorons. Encore tous
eussent-ils été versés
dans l'art des scribes
qu'ils n'eussent
certainement pas préféré
la lettre au verbe; toute
l'habitude des Sémites**
si loin qu'on